domingo, 24 de agosto de 2014

Entretien avec Aminatou Haidar, la militante des droits de l'homme au Sahara Occidental

Mon entretien avec Aminatou Haidar, la militante des droits de l'homme au Sahara Occidental. Par:
 
 
Aminatou Haidar représente le combat du peuple sahraoui. D.R.
Aminatou Haidar représente le combat du peuple sahraoui. D.R.
 



Mohsen Abdelmoumen : Vous avez été reçue au Parlement européen, pouvez-vous nous expliquer le résultat que vous avez obtenu ici à Bruxelles ?

Madame Aminatou Haidar : Ma visite au Parlement européen vient dans le cadre du partenariat entre le Centre Robert F. Kennedy pour la justice et les droits de l’Homme et moi-même, étant sa lauréate 2008. L’objectif de ce partenariat est de défendre la lutte du peuple sahraoui, en faisant la lumière sur la situation alarmante qu’il vit. Une délégation représentant le Centre RFK, présidée par Mme Kerry Kennedy et moi-même, a fait une tournée de sensibilisation en France et au Parlement européen pour faire connaître à l’opinion européenne les violations des droits de l’Homme commises par les autorités marocaines à l’encontre des civils sahraouis réclamant pacifiquement, dans les territoires occupés du Sahara Occidental, le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et la souveraineté sur ses ressources naturelles. Notre tournée de sensibilisation, comme vous le savez, avait été bien suivie par les médias.


Le Maroc accuse l’Algérie d’être la source du problème du Sahara Occidental, alors que ce dossier relève de l’ONU et concerne la décolonisation de l’un des derniers territoires au monde sous occupation étrangère, en l’occurrence le Sahara Occidental. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Mon point de vue ne peut être que celui de tous les Sahraouis qui souffrent sous l’occupation marocaine. Pour nous, le Maroc est le seul responsable de notre souffrance qui a beaucoup duré, puisque c’est l’armée marocaine qui a envahi les territoires de notre pays, le Sahara Occidental, le 31 octobre 1975 et non pas un autre pays. C’est le Maroc qui continue, depuis 1991, à entraver la mise en œuvre du plan de paix des Nations unies et non pas un autre pays. Ce n’est pas un secret si je dis que c’est le Maroc, et non pas un autre pays, qui s’oppose toujours à un règlement pacifique et juste de la cause du Sahara Occidental.


Aminatou Haidar représente le combat du peuple sahraoui, pouvez-vous nous parler un peu de vous et de la souffrance du peuple du Sahara Occidental ?

En violation du droit international, mon pays, le Sahara Occidental, a été occupé par le Maroc le 31 octobre 1975. Depuis cette date, le Maroc viole systématiquement, dans les territoires occupés du Sahara Occidental, tous les aspects des droits de l’Homme. C’est ainsi que les autorités marocaines ont semé la terreur contre la population civile sahraouie. Des milliers de civils sahraouis se sont trouvés contraints de fuir les territoires occupés pour sauver leurs vies et rejoindre leurs proches déjà engagés dans la lutte armée. Durant leur marche dans le désert, plusieurs civils sahraouis âgés ont trouvé la mort. Leurs campements provisoires, détectés par l’armée marocaine, ont été bombardés par l’aviation marocaine avec des bombes interdites, à savoir les bombes au napalm, au phosphore blanc et les bombes à fragmentation. Des dizaines parmi ces civils sahraouis ont succombé à leurs blessures.

D’autres continuent à vivre avec des séquelles corporelles graves et irréparables. Les rescapés vivent depuis 38 ans dans des conditions difficiles dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf, en territoire algérien. Les Sahraouis qui n’ont pas pu fuir les territoires occupés du Sahara Occidental continuent toujours à vivre les affres de la répression féroce pratiquée par le régime marocain. C’est ainsi que le peuple sahraoui s’est trouvé déchiré. Des centaines de civils sahraouis ont été enlevés par les autorités marocaines et séquestrés, durant des périodes qui varient de quelques mois à 16 ans, dans des lieux de détention secrets au Maroc et au Sahara Occidental, où ils ont souffert de la torture physique et mentale.

Personnellement, j’ai été enlevée par la police marocaine à l’âge de 20 ans, alors que j’étais encore élève au lycée, préparant mon baccalauréat. En compagnie d’une dizaine de femmes sahraouies, nous avons passé quatre années dans un bagne secret à El-Ayoun, au Sahara Occidental, et nous étions soumises quotidiennement à la torture et aux mauvais traitements. Durant toute cette période, nos yeux étaient bandés et nous passions toute la journée face au mur de la cellule. Des dizaines de civils sahraouis enlevés sont décédés sous la torture, alors que le sort de centaines reste inconnu depuis 1976. Malgré les appels de l’ONU et les demandes du rapporteur spécial de l’ONU sur les disparitions forcées et involontaires, le Maroc continue à afficher son indifférence totale et refuse de fournir des renseignements exacts sur la situation de ces disparus sahraouis.

Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu instauré par l’ONU au Sahara Occidental le 6 septembre 1991, les défenseurs sahraouis des droits de l’Homme continuent avec détermination à dénoncer et à faire connaître les violations des droits humains commises par l’Etat marocain contre la population civile sahraouie. C’est pourquoi les autorités marocaines multiplient les intimidations et les menaces à leur encontre. Des défenseurs sahraouis des droits de l’Homme ont été licenciés de leur emploi de manière abusive, comme c’est mon cas après avoir appelé, organisé et participé, le 5 mars 2005, à un sit-in pacifique à El-Ayoun, dans les territoires occupés du Sahara Occidental à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la femme. D’autres défenseurs sahraouis des droits de l’Homme ont été transférés abusivement à l’étranger et dans des villes marocaines pour les éloigner des territoires occupés. Dans ce cadre, le régime marocain m’a expulsée, le 14 novembre 2009, de l’aéroport d’El-Ayoun vers Lanzarote, dans les îles de Canaries.

Je n’ai pu exiger mon retour dans mon pays le Sahara Occidental que suite à des pressions exercées par la communauté internationale sur le Maroc et en particulier celles exercées par l’ONU, les Etats-Unis d’Amérique et la France, et après avoir observé pendant 32 jours une grève de la faim. Les autorités marocaines continuent toujours de multiplier les menaces de licenciement à l’encontre de défenseurs sahraouis des droits de l’Homme. Depuis le 21 mai 2005, la population civile sahraouie vivant dans les territoires occupés et dans les villes du sud du Maroc a organisé des sit-in et des manifestations pacifiques réclamant publiquement le respect au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui et à ses droits légitimes. Ces sit-in et manifestations ont été sauvagement réprimés par les autorités marocaines. Les manifestants sahraouis sauvagement tabassés lors de ces sit-in et manifestations, dans la plupart du temps, ne peuvent pas accéder aux soins médicaux dans les hôpitaux. Leurs habitations et leurs meubles se trouvent souvent saccagés par les éléments de la police marocaine. Les dizaines de Sahraouis arrêtés ont été soumis, dans les locaux de la police marocaine, aux méthodes de torture corporelle et psychique les plus humiliantes, avant d’être abandonnés dans les décharges et les plateaux arides en dehors des périmètres urbains des villes, alors que d’autres ont été déférés devant la justice marocaine et condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. A ce jour, 74 prisonniers politiques sahraouis se trouvent dernières les barreaux des prisons marocaines, parmi eux 24 prisonniers traduits devant un tribunal militaire à Rabat et condamnés, il y a une année, à de lourdes peines, entre 20 ans et la perpétuité. Personnellement, le 17 juin 2005, j’ai été violemment tabassée par un groupe de policiers marocains puis emprisonnée pendant 7 mois fermes, pour avoir participé à un sit-in pacifique, organisé à El-Ayoun, réclamant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.

De même, le 1er novembre 2012, six heures après avoir rencontré au quartier général de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso) à El-Ayoun, l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU au Sahara Occidental, Son Excellence M. l’ambassadeur Christopher Ross, j’ai été également tabassée par un groupe de policiers marocains. Ces derniers m’ont également menacée avec des armes blanches (couteaux et épées) et ont endommagé ma voiture. De même, après avoir participé, en mars 2013, à une rencontre organisée au siège de l’ONU à New York sur la situation des droits de l’Homme au Sahara Occidental et rencontré la majorité des ambassadeurs des Etats membres du Conseil de sécurité, et en particulier l’ambassadrice des Etats-Unis d’Amérique, Mme Susan Rice, je suis devenue la cible d’une campagne de dénigrement médiatique commanditée par les autorités marocaines.

Cette campagne s’est accentuée juste après que les Etats-Unis d’Amérique ont présenté au Conseil de sécurité, en avril 2013, un projet de résolution sur l’élargissement du mandat de la Minurso au volet de la surveillance des droits de l’Homme au Sahara Occidental. C’est ainsi que la quasi-totalité de la presse marocaine écrite et électronique, les stations de la radio et les chaînes de télévision se sont lancées dans des campagnes médiatiques incitant à la haine contre moi. De même, des partis politiques, des syndicats, une partie de la société civile marocaine et même des responsables gouvernementaux marocains ne cessent de m’attaquer médiatiquement et ont contribué ainsi par leurs attaques à la radicalisation du message de haine envers moi. Dans ce cadre, je cite l’intervention du ministre de l’Intérieur marocain au Parlement marocain, le 6 mai 2013, m’accusant d’être le commanditaire de l’organisation des manifestations pacifiques organisées par les civils sahraouis en réaction contre le non-élargissement, par le Conseil de sécurité, du mandat de la Minurso au volet de la surveillance des droits de l’Homme.

Actuellement, je me trouve sous surveillance permanente de la part des services de renseignement marocains. Ma maison à El-Ayoun a été attaquée en avril 2013 par la police marocaine au moment où je tenais, en compagnie des membres du bureau exécutif de mon organisation, le Codesa, une réunion de travail avec une délégation d’Amnesty International. De même, le 4 mai 2013, alors que je donnais des interviews à une délégation composée de la presse américaine, britannique et canadienne à la maison du secrétaire général de mon organisation, au moment où des civils sahraouis organisaient une grande manifestation pacifique, la maison en question a été encerclée et attaquée, durant presque deux heures, par un groupe de policiers marocains et ma voiture a été de nouveau endommagée.


L’Algérie a toujours soutenu le juste combat du peuple du Sahara Occidental, que représente pour vous l’Algérie ?

Comme vous le savez, l’Algérie est un pays dont le peuple a payé cher pour sa liberté et son indépendance. L’Algérie est connue partout dans le monde pour son soutien et son appui aux peuples opprimés et à ceux qui luttent pour la liberté. C’est dans ce cadre que l’Algérie est venue au secours des réfugiés sahraouis qui ont pris la fuite des territoires occupés du Sahara Occidental par peur d’être victimes d’un génocide prémédité et préparé par le Maroc. L’Algérie a octroyé une partie de son territoire pour abriter les campements des réfugiés et c’est ainsi que ces réfugiés sahraouis vivent en toute sécurité dans ces campements, loin du danger que représente le Maroc. D’autre part, l’Algérie demeure pour tous les Sahraouis le grand allié qui mérite le grand respect et la plus haute considération. A l’Algérie et à ses martyrs pour l’indépendance, nous rendons un grand hommage.


Il y a une campagne de soutien de l’acteur Javier Bardem et de Madame Kerry Kennedy à la cause du peuple sahraoui, pouvez-vous nous faire le point sur cette mobilisation ?

D’abord, je tiens à vous préciser que Mme Kerry Kennedy et M. Javier Bardem sont des célébrités bien connues pour leur engagement de principe en faveur des droits légitimes des peuples. Dans le cadre du partenariat entre le Centre Robert F. Kennedy pour la justice et les droits de l’Homme et moi-même, Mme Kerry Kennedy, présidente du centre RFK, mène personnellement depuis quatre années une campagne de sensibilisation de l’opinion internationale en faveur de la création par l’ONU d’un mécanisme chargé de la surveillance des droits de l’Homme au Sahara Occidental. Quant à l’acteur espagnol de renommée internationale, M. Javier Bardem, qui appartient à une famille artistique espagnole connue pour son soutien à la cause juste du peuple sahraoui, il a diffusé son documentaire Hijos de las nubes, la ultima colonia  (tr: Les fils des nuages, la dernière colonie) qui parle de la souffrance du peuple sahraoui sous la répression dans les territoires occupés du Sahara Occidental et sa souffrance également dans les camps des réfugiés, où cette population a été oubliée par la communauté internationale. Enfin, les actions menées par Mme Kerry Kennedy et M. Javier Bardem entrent bien dans le cadre d’une mobilisation en faveur du soutien à la lutte pacifique et juste du peuple sahraoui pour sa liberté et son droit à l’autodétermination.

Entretien réalisé par Mohsen Abdelmoumen
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Entretien avec Aminatou Haidar, militante des droits de l'homme en Afrique du Nord